Dans la paroisse de Saint-Tammany, en Louisiane, la bourgade de Madisonville fut longtemps difficile d’accès. Il faut dire que bordée au sud par le lac Pontchartrain, à l’est par la rivière Tchefuncte, au nord par le Bayou Desire et à l’ouest par des marécages, il s’agit quasiment d’une île. Pour s’y rendre ou pour en partir, les habitants n’eurent durant des décennies qu’une seule solution : passer par une langue de terre large d’environ soixante mètres et située à la jonction des marais et du Bayou Desire. Souvent immergé, planté de palmiers, de gommiers et de très rares pins, ce secteur appelé Palmetto Flat est, depuis les années 1930, le point de passage de l’autoroute 22. Mais, surtout, c’est l’endroit où, à la nuit tombée, se manifeste la Silk Lady, une créature qui a effrayé les habitants de Madisonville durant des générations.
La Silk Lady : apparence #
Pour comprendre d’où cet être tire son nom, que l’on pourrait traduire par Dame de soie, il suffit de s’en référer aux descriptions qu’en donnent ceux qui l’ont rencontrée : tout, chez elles, rappelle la soie, depuis ses longs cheveux jusqu’à ses yeux, dont la couleur évoque la soie blanche, en passant par ses ongles qui mesurent bien deux pouces, soit un peu plus de cinq centimètres. De surcroît, elle porte ordinairement une longue robe de soie blanche. Les témoins ajoutent qu’elle ne marche pas sur le sol mais qu’elle flotte au-dessus, et qu’elle émet un éclat, une lueur rappelant la soie. Il n’est d’ailleurs pas rare que cette lueur soit la première chose que l’on aperçoive d’elle.
Autre particularité de la Silk Lady : elle produit un son caractéristique souvent dépeint comme un cri, comme une sorte de gémissement aigu. Si on l’entend, mieux vaut ne pas s’attarder, à moins de vouloir croiser le chemin de l’inquiétante dame…
La Silk Lady : manifestations #
L’un de ces récits concerne la première coupe de bois effectuée près de Palmetto Flatt. Un dénommé Tom Noll possédait un attelage de bœufs qui d’ordinaire l’aidaient dans son travail, tirant les cyprès hors du marécage. Cependant, il ne pouvait recourir à eux, ici : quelque chose s’approchait de leur enclos, la nuit, effrayant tant ces animaux habituellement paisibles qu’ils paniquaient et essayaient de s’enfuir. Quand il venait les voir, au matin, Tom Noll devait se résigner à se passer de leurs services : ils étaient beaucoup trop agités, beaucoup trop sauvages.
Les chevaux aussi avaient peur lorsqu’ils devaient passer par Palmetto Flat après le coucher du soleil : leurs oreilles se dressaient, ils se mettaient à hennir, à donner des coups de sabot ; parfois même, ils paniquaient tant qu’ils en venaient à renverser les chariots auxquels ils étaient attelés. Ils sentaient la présence de la Silk Lady, se disait-on.
Vers 1900, un certain Rudolf Galatas, dont une route des environs porte le nom, vécut semblable expérience. Mais pour lui, les choses allèrent beaucoup plus loin : alors que son cheval s’était mis à ruer, alors qu’il était parvenu à le retenir, il aperçut la Dame de soie. Flottant dans les airs, poussant son célèbre cri, elle s’agrippa au siège de son boghei. Galatas tira son couteau, lui frappa la main et parvint à lui faire lâcher prise, ce qui lui permit de filer sans demander son reste. C’est seulement le lendemain qu’il osa revenir sur les lieux : persuadé d’avoir tranché un doigt de la créature – le petit doigt de sa main droite, pour être précis –, il voulait retrouver cette preuve de la sinistre rencontre. En vain.
Peter Gitz, qui fut maire de Madisonville et qui transmit aux ethnologues nombre de récits à propos de la Silk Lady, affirmait avoir eu affaire à elle à quatre reprises quand il était enfant : la première, il entendit seulement son cri ; la deuxième, il la vit, à une trentaine de mètres devant lui ; la troisième, le cri fit paniquer son cheval qui, se cabrant, le jeta au sol avant de détaler. La quatrième fois eu lieu en 1947, l’année suivant un ouragan qui avait abattu tous les arbres. Peter Gitz, alors âgé de douze ans, entendit le cri et aperçut la Silk Lady qui paraissait flotter parmi les palmiers, tout son corps brillant comme de la soie blanche. Il ne l’avait jamais vue d’aussi près et, malgré la peur, il continua à l’observer tout en marchant lentement. Elle cria à nouveau et il eut l’impression qu’elle essayait de lui dire quelque chose. Avait-elle peur que la tempête l’ait chassée de son marécage ? Mais il ne s’attarda pas pour connaître la réponse : c’en était trop pour lui et ,déjà, il avait pris ses jambes à son cou. Ce fut sa dernière rencontre avec la Silk Lady : plus jamais il ne la vit, plus jamais il n’entendit son cri.